Le point de vue d’Arnaud GUILLEUX – AGEF Finance courtage.
- A court terme, la légère hausse des taux que nous avons connu sur mars/avril va-t-elle se poursuivre ou au contre, peut-on s’attendre à un retour au taux ante covid-19 ?
La hausse des taux constatée depuis mi mars est très variable d’une banque à l’autre. Elle varie entre 0% pour certaines banques qui n’ont pas encore fait le choix de relever leur taux et 0,9% pour d’autres. Pour bien répondre a cette question, laissez moi expliquer rapidement comment une banque fixe ses taux :
- Si certaines se financent à court terme sur les marchés ou grâce à l’épargne de leurs clients, la majorité fait appel au marché du crédit notamment par un financement basé sur l’OAT 10 ans, l’obligation de l’État sur 10 ans (-0,04% actuellement)
- En plus de ce cout de refinancement sur les marchés, les banques rajoutent une « marge » en évaluant le coût des risques internes en plus de ce taux de financement. On distingue dans ce « pricing » trois risques principaux : celui du taux (=marge entre l’épargne des clients et celui du crédit), celui de liquidité (=capacité à faire face aux retraits potentiels des deposants) et celui du crédit. Ce dernier est le plus impacté actuellement car il est calculé avec les impayés actuels et potentiels (particuliers et professionnels) mais aussi sur le nombre des reports d’échéances de prêts (qui a explosé pendant le COVID)
Donc pour continuer la réponse à la question, la hausse à court terme est clairement inéluctable car les banques « profitent » du COVID pour regagner de la marge sur leurs crédits en provisionnant de futures pertes. A l’heure ou je vous réponds, les banques françaises ont déjà provisionné qq milliards depuis le COVID et tout cela se « price » dans les taux actuels. Donc pas encore de retour à des niveaux de fin 2019 à très court terme (<3 mois).
- A moyen/long-terme, une hausse continue des taux est-elle à attendre ? Si oui dans quelle mesure et dans quel timing ?
Je ne vois pas d’explosion (sauf autre incident majeur) concernant les taux à moyen terme. Le plus vraisemblable serait qu’à terme, pour un même dossier les taux varient entre 1,5 % et 2,5% (selon les durées) en fonction des banques, alors qu’avant la crise ce client aurait obtenu des taux entre 0,5% et 1,5%. Mais tout dépendra maintenant de la stratégie adoptée par chaque banque : relever son taux pour anticiper les effets de la crise comme nous avons pu le voir OU maintenir une stratégie commerciale « agressive » pour récupérer les bons dossiers délaissés par les banques concurrentes. De plus il faudra « compenser » les prêts PGE distribués.
- Les évolutions des taux sont-elles uniformes dans l’ensemble des banques ou il y a-t-il des disparités ? mutualiste, local, national…
Et c’est la qu’est certainement le grand changement lié à la crise COVID, d’une banque à l’autre, le taux négocié pour un même dossier peut ainsi varier de façon considérable. Nous observons actuellement dans nos négociations que le taux peut varier du simple au double pour un même dossier selon la banque et selon sa politique ! Pour le moment, les nationales n’ont pas trop modifier leurs conditions de taux et ont moins resserrer leurs conditions. Cette différence de traitement pourrait d’ailleurs s’accentuer dans les mois à venir.
- Dans quels états d’esprit sont les banquiers sur les opérations d’investissement en immobilier d’entreprise et commercial (portées par des investisseurs privés ou des foncières, pas pour un utilisateur) ? Quels regards portent-elles sur les dossiers en cours ou les nouveaux ?
Pour le moment, je n’ai pas vu dans mes dossiers ou ceux de mes équipes de réels changements dans les accords obtenus avec mes partenaires bancaires que ce soit sur de l’immobilier commercial ou d’entreprise. Pour autant et comme après chaque crise, les banquiers ont le reflexe de ressortir les anciens « garde fou » en étant plus exigeant sur l’apport, l’environnement global du preneur afin d’obtenir une plus grande marge de sécurité sur le dossier (capacité de résistance – 1 an de loyer). De plus, l’autre contrainte est ailleurs : Avec des règles prudentielles strictes appliquées (Bale 4), un credit demande aux banques plus de fonds propres et plus de depots – donc certaines sont incitées à limiter les demandes de prêts gourmandes en volume.
- Un mot sur les crédit-bailleurs peut être intéressant…
Justement pour limiter les encours de prêts dans les bilans des banques, le crédit bail est une solution moins « gourmande » en fonds propres et plus rentables pour les établissements financiers, les accords sont plus simples a obtenir. Le crédit bail peut donc etre un outil intéressant de diversification pour acquérir un immobilier professionnel mais tous les bâtiments ne sont pas éligibles et soyez vigilant à toutes les conditions de ce contrat car il peut être plus couteux et chaque ligne peut se négocier.
- Quelles caractéristiques des opérations d’investissement et de l’investisseur vont faire l’objet d’une attention particulière de la part des banques ?
Les critères à l’heure actuelle ne vont pas changer mais elles seront encore plus importantes actuellement :
- La qualité des bâtiments et leurs localisations
- La qualité du bail (les durées fermes vont être priorisées)
- La solidité du locataire
- Vigilance renforcée sur les actifs CHR (Commerce, hôtellerie, restaurant) – Pour ces dossiers, le taux d’apport peut être rehaussé voir même pas
- Sur l’investisseur, je pense qu’ils seront très vigilants sur le niveau d’endettement global du client, son niveau de trésorerie, l’impact de la crise sur ses autres activités (s’il est chef d’entreprises), son âge, sa gouvernance, son track-record, la façon dont son patrimoine existant à résister à la crise,…